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MARC DUPEYRAT sourit en relisant les dernières lignes de son article.

« L’équipe » dont il parlait se limitait à lui-même et son voyage n’avait pas dépassé le 9e arrondissement. Quant à ses « sources exclusives », elles se résumaient à quelques contacts avec l’AFP de Kuala Lumpur et les quotidiens malais. Vraiment pas de quoi casser son stylo. Il ouvrit sa boîte aux lettres électronique, rédigea quelques lignes à l’intention de son rédacteur en chef, Verghens, puis associa le texte de son article, en document joint. Il brancha son ordinateur portable sur la première prise téléphonique qu’il trouva et envoya le message.

Observant le logo qui indiquait la diffusion des données, il réfléchit. Ces petits aménagements de la vérité, c’était de la pure routine. Le Limier ne s’embarrassait jamais de scrupules. Pourtant, Verghens allait exiger plus : son magazine, spécialisé dans les faits divers, se devait d’avoir une longueur d’avance sur les autres journaux. Marc avait plutôt un avion de retard…

Il s’étira et contempla la pénombre mordorée qui l’entourait : fauteuils de cuir et cuivres astiqués. Depuis des années, Marc avait élu son quartier général dans ce bar d’hôtel de luxe, près de la place Saint-Georges. Il l’avait choisi parce qu’il était situé à quelques centaines de mètres de son atelier : il adorait cette atmosphère de pub british, où les effluves de café se mêlaient à la fumée de cigare, où des stars venaient se faire interviewer en toute discrétion.

Il ne pouvait écrire seul. Déjà, à l’époque de la faculté, et même du lycée, il rédigeait ses dissertations au fond de cafés bondés, enveloppé par le brouhaha et les jets de vapeur des machines à expressos. Cette présence lui permettait de surmonter son trac face à l’écriture. Et à lui-même. Marc redoutait la solitude. La maison vide où un étranger peut s’introduire pour tuer. Un froid l’emplit tout à coup ; un appel d’air à travers son corps. À quarante-quatre ans, il en était encore là, avec ses terreurs de gosse.

— Vous prendrez autre chose ?

Le serveur en veste blanche le toisait, posant un regard sur la documentation qui s’étalait sur les deux tables :

— C’est un bar, monsieur. Pas une bibliothèque.

Marc fouilla dans sa poche et ne trouva que quelques pièces. Le garçon ajouta sur un ton ironique :

— Un café, peut-être ? Avec un verre d’eau ?

— Avec un verre d’eau. Absolument.

L’homme s’éclipsa. Marc observa les euros dans sa main. Ils luisaient faiblement sous les lampes, résumant sa situation financière. Mentalement, il fit le compte de ses réserves personnelles et ne trouva rien. Ni à la banque, ni nulle part. Comment en était-il arrivé là ? Lui qui avait été, dix ans auparavant, l’un des reporters les mieux payés de Paris ?

Il posa une pièce sur la table et, d’une chiquenaude, la fit tournoyer. La vrille lui fit penser à une lanterne magique, qui aurait projeté le film de sa propre vie. Quel titre lui donner ? Il réfléchit quelques secondes et opta pour : « Portrait d’une obsession ».

L’obsession du crime.

 

Tout avait pourtant commencé par l’innocence.

Avec le piano. Durant son adolescence, Marc possédait une conviction. Son existence serait réglée comme une partition. Classes musicales au lycée. Conservatoire de Paris. Récitals et enregistrements de disques. Pianiste, Marc se voulait aussi pragmatique. Il refusait tout pathos, toute dérive romantique. Lorsqu’il jouait les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach, il n’utilisait jamais la pédale, accentuant le caractère mathématique des contrepoints. Lorsqu’il interprétait Chopin, il s’efforçait de ne jamais exagérer le rubato de la main gauche, qui pouvait faire tanguer le morceau comme une vieille barque prenant l’eau. Et lorsqu’il s’attaquait à Rachmaninov, il aimait détacher, sur les oscillations ternaires de la main gauche, la mélodie à deux temps, avec une rigueur tendue, rectiligne.

Les certitudes couraient alors sous ses doigts. Il ne prévoyait pas la moindre fausse note dans son destin. Elle survint pourtant. Avec une violence foudroyante, au printemps 1975. La disparition de d’Amico, son meilleur ami, avec qui il avait partagé ses années de lycée, fit basculer son existence dans le chaos. D’ailleurs, Marc refusa, mentalement, cet événement. Il sombra dans le coma et ne reprit conscience que six jours plus tard. Lorsqu’il se réveilla, il ne se souvenait de rien. Ni de la découverte du corps, ni même des quelques heures qui avaient précédé l’événement.

Très vite, il se rendit compte que l’accident ne l’avait pas simplement bouleversé. Le drame avait eu un effet souterrain et pervers. Sa perception de la musique avait changé. Face au piano, il éprouvait maintenant un malaise pernicieux, un dégoût qui l’empêchait, non pas de jouer, mais d’interpréter, à pleine sensibilité. Une fêlure ne cessait plus de s’ouvrir. Tous ses espoirs y sombraient. Le Conservatoire, les concours, les récitals… Il n’avait rien dit à ses parents, ni au psychiatre qui le suivait depuis sa perte de conscience. Il avait passé, tant bien que mal, son bac musical. Mais la machine était cassée. Il ne pouvait plus espérer faire la différence avec d’autres virtuoses ; apporter quoi que ce soit à la grande histoire de l’interprétation. Par défaut, il choisit la littérature et s’inscrivit à la Sorbonne.

Il était en maîtrise quand ses deux parents moururent. Coup sur coup. Du même cancer. Encore engourdi par son propre traumatisme, Marc suivit de loin cette tragédie. En vérité, il n’avait jamais été très attaché à ces deux pharmaciens de Nanterre, qui ne comprenaient pas ses ambitions. Le couple lui avait toujours fait penser à deux pince-billets en résine, serrés sur la même liasse. Rien à voir avec ses rêves de musicien désintéressé. Du reste, Marc possédait une sœur, taillée sur le même modèle petit-bourgeois, qui s’était empressée de reprendre la pharmacie. Passage de relais, passage de monnaie.

Marc acheva son mémoire de maîtrise : « Apulée ou les métamorphoses du verbe », puis découvrit le marché du travail. Il rédigea avec beaucoup de soin son curriculum vitae. Il se faisait penser à un naufragé envoyant des bouteilles à la mer, peaufinant les étiquettes à défaut du message intérieur. Qui cherchait, dans l’univers professionnel contemporain, un spécialiste des poètes néoplatoniciens ? Il avait visé tous les domaines susceptibles d’utiliser sa plume : journalisme, publicité, édition… Au fond, tout cela l’indifférait : il souffrait encore de sa blessure. L’abandon du piano.

Le miracle survint. Un journal local lui envoya une réponse positive. Une simple gazette, installée à Nîmes, mais l’important était ailleurs : on allait le payer pour écrire ! Il se dévoua à son nouveau métier. Il se prit de passion pour le Sud de la France et découvrit que tous les clichés pittoresques sur cette région étaient vrais. Le soleil, les plaines d’or, les pastels de lavande ou de romarin. Chaque sensation était pour lui comme l’un de ces petits sachets d’herbes sèches qu’on glisse entre les draps. Les parfums s’insinuaient en lui ; douceur feutrée, intime, glissée entre les plis de son être.

Les années filèrent. Il progressa, gagna mieux sa vie. Il vendit ses parts de la pharmacie familiale à sa sœur et acquit une maison dans les environs de Sommières. Il avait là-bas un cercle d’amis, un cercle d’habitudes, un cercle de « fiancées ». À trente ans, il était devenu un enfant du Gard. Le drame de d’Amico lui semblait loin, l’écriture était sa seule ligne de vie – et maintenant, bien sûr, il nourrissait un projet de roman. Chaque matin, il se réveillait plus tôt pour rédiger le « chef-d’œuvre ». Mais surtout, ses troubles avaient presque disparu. Il voyait toujours un psychiatre à Nîmes et ses cauchemars reculaient. Le rouge, ce rouge qui inondait parfois les parois de son crâne, s’éclaircissait au point de disparaître dans la pulvérulence du matin, lorsqu’il s’éveillait.

À son insu, un nouveau poison s’insinuait dans sa vie : la routine. Les cercles concentriques de son existence se resserraient au point de l’étouffer. Chaque jour l’ankylosait un peu plus. Il se levait moins tôt – juste à temps pour filer à la « conf » du matin. Le soir, il allumait la télévision, sous prétexte qu’il avait « bossé comme un âne » toute la journée. Peu à peu, les préoccupations, minuscules mais concrètes, de sa vie professionnelle prirent le pas sur ses rêves d’écrivain. Il mangeait plus, s’empâtait, et prenait goût à l’inertie. Il s’était même remis au piano, mais comme on se remet au bricolage.

Alors, il la rencontra.

D’abord, il ne la vit pas. Comme dans ces tests psychologiques où l’on soumet au sujet des cartes à jouer impossibles – as de pique rouge, dix de carreau noir – et qu’il ne remarque pas, les assimilant à des cartes standard, Marc associa Sophie au paysage habituel et ne sut remarquer ses différences.

Elle était, tout simplement, la carte impossible.

Il fit sa connaissance à Saignon, dans le parc naturel du Lubéron, lors de l’inauguration d’un site archéologique. On avait découvert sur une dalle calcaire des empreintes fossilisées d’animaux préhistoriques. Ce jour-là, Sophie lui parla : elle était responsable de la communication de la fondation qui finançait le chantier. Il ne la remarqua pas. Une dame de trèfle rouge. Une reine de cœur noire. Il fallut qu’elle insistât, qu’elle l’invitât plusieurs fois, sur d’autres chantiers, financés par sa fondation, pour qu’enfin, il comprenne.

Sophie correspondait, trait pour trait, à son idéal féminin.

Elle était l’esquisse qui avait toujours plané dans son esprit. Le rêve latent qu’il n’osait préciser, de peur qu’il s’efface au contact de sa pensée. Aujourd’hui encore, il aurait été incapable de la décrire. Grande, brune, à la fois précise et vague. Il ne se souvenait que d’un équilibre inouï. Une grâce parfaite. Il l’avait toujours pensé – et il en possédait maintenant la preuve : on devait se moquer de la couleur des cheveux, de la qualité du teint, du grain de la peau. Seule compte l’harmonie de l’ensemble. La pureté des lignes, la rigueur du dessin. Comme le prodige d’une mélodie, qui peut être jouée sur n’importe quel instrument sans perdre son émotion.

Impossible non plus de dire s’il aimait son esprit, sa personnalité, puisque tout, absolument tout chez elle – remarques, décisions, attitudes –, était traversé par cette grâce indicible. Il ne l’écoutait pas : il planait. Il ne l’aimait pas : il lui vouait un culte. Il n’avait qu’un souhait : vivre auprès d’elle, accompagner cette beauté jusqu’au bout, comme on effectue un pèlerinage. Il voulait voir apparaître ses rides, apprivoiser sa beauté, sans chercher à la comprendre ni à percer son secret. Il espérait simplement s’intégrer à son histoire, comme un prêtre s’assimile à la foi, à force de prières, sans saisir les desseins de Dieu.

Dans son travail, il trouva une nouvelle énergie. Depuis deux années, il était le correspondant d’une grande agence photographique à Paris. Lorsqu’un fait divers, dans sa région, pouvait revêtir une importance nationale, il prévenait aussitôt le bureau central et on lui envoyait un photographe. Grâce à ce job, il rencontrait des reporters majeurs. Des hommes qui ne cessaient de voyager, qui vivaient à une autre échelle du réel. Marc leur proposa une collaboration – le fameux tandem journaliste-photographe –, appliquée à l’échelle du monde.

On lui fit confiance. Il voyagea, traita des dizaines de sujets. Ethnies lointaines, milliardaires délirants, guerres des gangs : tout y passait. Avec une seule condition : de l’inédit, de l’extraordinaire, de l’adrénaline, garantis sur papier glacé. Ses revenus augmentèrent. Ses prises de risques aussi. Il vendit sa maison de Sommières pour revenir à Paris. Sophie le suivait, bien sûr – d’ailleurs, tout cela lui était destiné. Paradoxalement, il effectuait ces voyages pour se rapprocher d’elle, pour nourrir leur quotidien d’un matériau incandescent, et sublimer leur relation intime. Face à sa beauté, il ne pouvait que devenir un héros. Question d’équilibre.

À la fin de 1992, Marc se lança dans un reportage important sur la mafia sicilienne. Son périple comportait plusieurs villes : Palerme, Messine, Agrigente. Il persuada Sophie de le rejoindre à la fin du parcours, à Catane, au pied de l’Etna.

C’est là-bas, dans la ville volcanique, que le drame se répéta.

Sophie disparut le 14 novembre 1992. Jamais il n’oublierait cette date. La femme sacrée, la Pythie s’évanouit dans la même couleur que d’Amico. Le rouge. Du moins le supposait-il car il n’en avait aucun souvenir. Quand il découvrit son corps, il perdit connaissance et sombra dans un sommeil sans rêve. Tout se répéta, exactement, comme la première fois. La découverte. Le choc. Le coma.

Il se réveilla dans un hôpital parisien. On lui expliqua, avec beaucoup de précaution, ce qui était arrivé. Deux mois étaient passés. On l’avait transféré à Paris. Sophie était enterrée auprès de sa famille, dans la région d’Avignon. Marc ne pouvait plus parler. Autour de lui, les vieux fantômes ressurgirent : sa sœur, les spécialistes de l’amnésie, le psychiatre qui l’avait traité la première fois. Il les écoutait, mangeait, dormait. Mais il n’éprouvait qu’une seule sensation : un goût de ciment dans la bouche, comme après une très longue séance chez le dentiste. Ce goût l’envahissait, se répandait partout, et le paralysait. Il devenait un bloc minéral. Incapable de la moindre idée, de la moindre réaction.

Il fallut attendre deux semaines pour qu’il se lève. Il s’observa dans la glace de sa chambre et se trouva, simplement, amaigri. Sa peau avait la couleur du plâtre, et sa bouche exhalait toujours le même parfum de mortier.

Un mois plus tard, ses idées se remirent en place. Il comprit qu’il avait tout perdu. Non seulement Sophie, mais aussi le dernier souvenir de Sophie. C’était ce trou noir qui l’obsédait, alors qu’il déambulait dans les couloirs de l’hôpital, en pyjama. Cette blessure de temps, cette page effacée qui lui manquerait toujours et qu’aucune greffe ne pourrait remplacer.

Puis il mesura l’étendue de sa propre métamorphose. Avec la mort de d’Amico, il avait perdu le goût du piano. Cette fois, il perdait le goût de la vie, de l’avenir, de toute activité. Il intégra une clinique spécialisée, payée avec le pactole de la maison de Sommières. Des mois passèrent. Chaque jour, Marc se regardait maigrir dans la glace. Teint d’hostie, pommettes saillantes. Il se dématérialisait, ne faisant plus le poids face au monde qui l’attendait dehors.

Il trouva pourtant une voie nouvelle : le cynisme.

Revenir de la mort de Sophie, c’était revenir du pire. Il allait donc reprendre son métier, mais sans scrupules, ni illusions. Il travaillerait pour le fric. Et même pour le maximum de fric. Il connaissait assez les médias pour savoir qu’une seule voie était réellement rentable : people et indiscrétion. Ce matin-là, il se sourit dans la glace, à l’ombre de sa moustache, qu’il avait laissée pousser pour étoffer son visage d’ascète.

Puisqu’il n’y avait plus d’espoir, il allait faire fructifier son désespoir.

Il allait devenir paparazzi.

Pour un journaliste, on ne pouvait pas descendre plus bas.

Paparazzi, c’était le fond de la bonde. Pas de valeurs, pas de principes : tout est permis si ça rapporte. En même temps, c’était un boulot de tension, d’adrénaline, qui réclamait une large part d’enquête. Et même plus : il fallait planquer, se déguiser, jouer les imposteurs. Sans compter les risques, bien réels : on ne comptait plus, dans la profession, les « cassages de gueules », les destructions de matériel. Tout ce qu’il lui fallait. Il n’était pas photographe, mais il serait un enquêteur hors pair.

Un rabatteur de coups.

En quelques années, il devint l’un des meilleurs du métier. C’est-à-dire l’un des pires. Fouineur, menteur, magouilleur. Il bascula dans une sorte d’intermonde – un marécage où il prospectait de l’or. Il fréquenta les prostituées de haut vol, les flics criblés de dettes, les indics semi-mondains. Il apprit à soudoyer les concierges, les chauffeurs, les médecins. Il devint expert dans l’art de fouiller les poubelles mais aussi de s’infiltrer dans les soirées sélectes.

Bientôt, on le surnomma « la Raflette ». Sa spécialité : voler les photographies intimes des familles projetées, pour une raison ou une autre, sur le devant de la scène. Des parents étaient dépassés par le succès médiatique de leur enfant ? Il était là, souriant, chaleureux, mais piquant discrètement les portraits posés sur la cheminée. Un père et une mère, dont la petite fille venait d’être assassinée, étaient effondrés ? Il compatissait, mais profitait du désespoir général pour fouiller dans la boîte à chaussures qui contenait les archives photographiques de la famille.

Lorsqu’il y avait de « vrais » clichés à prendre, il s’associait, selon le projet, au meilleur photographe, souvent venu d’autres horizons. Une planque vraiment chaude sur le rocher de Monaco ? Il appelait un alpiniste capable d’accéder à la Principauté sans passer par la douane, en escaladant la falaise. Une image éclair des seins d’Ophélie Winter ? Il dégotait le photographe le plus rapide – un de ces virtuoses des jeux Olympiques capables de faire un point parfait au départ du cent mètres. Une scène à saisir de nuit, à plus de huit cents mètres ? Il en parlait à un photographe animalier, spécialiste du monde nocturne et bricoleur de génie, inventeur d’objectifs à infrarouge.

En 1994, il trouva, enfin, un partenaire complet, efficace sur tous les fronts. Vincent Timpani, colosse aux cheveux longs, exubérant, graveleux, mais qui pouvait rester en planque des nuits entières et produire une image nette en toutes circonstances. Un gorille capable, le cas échéant, de tenir tête à des gardes du corps et n’hésitant pas à violer la loi – plusieurs fois, ils avaient pénétré ensemble chez des stars par effraction. Risqué, mais rentable.

Vêtus de Bombers, les blousons verts des aviateurs anglais, portant un bonnet noir roulé sur le front, ils organisaient de véritables opérations commando. Leur quotidien était mouvementé mais l’excitation toujours au rendez-vous. Ils avaient le vent en poupe. Au milieu des années quatre-vingt-dix, les magazines français se livraient une concurrence acharnée sur le terrain du people. Paris Match, Voici, Gala, Point de vue menaient une guerre ouverte pour les meilleurs clichés.

Ils amassèrent une véritable fortune.

 

 

Mais Marc ne bossait pas pour l’argent. À peine s’était-il acheté, cash, un atelier dans le 9e arrondissement, qu’il n’avait même pas pris le temps de meubler. Il recherchait autre chose : l’oubli. Son seul triomphe était d’être parvenu, à force d’agitation, à faire reculer ses cauchemars et à remiser dans un coin de son esprit l’image de Sophie. Il n’avait rien réglé en profondeur. Mais c’était tout de même une réussite. Fièrement, il arborait sa peau de salopard.

Marc était un survivant.

Et les survivants ont tous les droits.

1997. Marc et Vincent rayonnaient de l’île Moustique à Gstaad, du domaine de Sperone, en Corse, à Palm Beach, en Floride. Impossible d’arrêter : la fièvre du people culminait. Marc sentait que cela n’allait pas durer. Le vent allait tourner, non seulement pour eux, mais pour tout le monde. Les magazines croulaient sous les images indiscrètes. Et aussi sous le papier bleu, apporté le lendemain de chaque publication par un huissier. Les célébrités multipliaient les coups de gueule, les tribunes libres, dans les autres médias. Et les lecteurs commençaient à se sentir mal à l’aise face à tant de voyeurisme. Le seuil de tolérance approchait.

Marc imaginait un déclin progressif, une chute lente. Il n’avait pas prévu que ce déclin surviendrait en quelques heures. Tranchant comme un couperet.

Le couperet, ce fut la nuit du 30 août 1997.

Marc s’était toujours désintéressé de Lady Diana : trop de concurrence. Il préférait travailler en solitaire, sur des coups plus tordus, plus surprenants. Il aurait donc dû apprendre la nouvelle de sa mort comme n’importe qui, le lendemain matin, le 31, à la radio ou à la télévision.

Mais non. À une heure du matin, Vincent l’avait appelé.

Marc mit plusieurs minutes à intégrer les faits. Diana et Dodi Al-Fayed poursuivis par un groupe de paparazzis sur les quais de la Seine ; l’accident sous le tunnel de l’Aima. Vincent était l’un des photographes qui suivaient la Mercedes. Au téléphone, il parlait à toute vitesse et donnait les détails en vrac : les corps encastrés dans les tôles, le klaxon bloqué qui résonnait dans le tunnel, les collègues qui avaient continué à faire des clichés et ceux qui avaient tenté d’aider les passagers.

Marc comprit que cet accident inouï sonnait le glas du métier – et de la fortune. Ça, c’était la vision à long terme. À court terme, il saisissait que le colosse avait pris des photos. Or, il avait réussi à fuir alors que les autres paparazzis avaient été arrêtés par les flics. Pour quelques heures, Vincent possédait les seules images sur le marché. Une fortune.

Marc se posa mentalement la question : était-il un homme ou un simple charognard ? En guise de réponse, il s’entendit demander, d’un ton glacé :

— Tes photos : c’est du numérique ?

Ils se donnèrent rendez-vous à la rédaction d’un des plus grands magazines parisiens. Vincent devait d’abord développer ses images en urgence – il avait travaillé avec des films argentiques. Marc arriva à deux heures trente. Quand il vit les hommes encore vêtus de leur blouson, debout autour de la table lumineuse, il comprit que les nouvelles s’étaient aggravées. Diana agonisait à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière. Elle avait subi deux arrêts cardiaques : les médecins étaient en train de l’opérer.

Marc s’approcha de la table où brillaient les diapositives. Il s’attendait à des images de chairs arrachées, des traînées de sang sur la carrosserie, une boucherie abjecte. Il découvrit le visage diaphane, radieux de la princesse. Ses orbites étaient légèrement tuméfiées, une goutte de sang perlait de sa tempe, mais sa beauté était intacte. Elle paraissait même, sous les signes de contusion, d’une jeunesse, d’une fraîcheur bouleversantes. C’était un ange véritable, incarné, avec des cernes, des bleus, du sang, et une présence qui serrait le cœur.

Le pire était une autre image – sans doute la dernière de Diana consciente. Captée par un flash, elle lançait un regard apeuré par la vitre arrière de la voiture, vers les photographes qui venaient de la prendre en chasse. Dans ce regard, Marc lut la vérité. La princesse n’allait pas mourir d’une faute de conduite, ni même à cause des photographes qui la suivaient ce soir-là. Elle allait mourir de ces longues années de poursuite durant lesquelles elle avait été traquée, guettée, non seulement par des photographes, mais par le monde entier. Elle allait mourir de la curiosité humaine, de cette force obscure qui avait focalisé tous les regards, tous les désirs sur elle. Une traque qui avait commencé depuis la nuit des temps. Avec le désir de voir, de savoir, inscrit dans les gènes de l’homme.

— Je vous préviens. Moi, je la vends pas.

Marc reconnut le photographe qui venait de parler : il avait les larmes aux yeux. Il comprit qu’il était l’auteur du cliché « vitre arrière », les autres, celles de Diana parmi les tôles froissées, étaient celles de Vincent. Il le chercha du regard : le géant avait l’air effaré, oscillant d’un pied sur l’autre, casque à la main.

Marc contempla les autres hommes – les journalistes de permanence, le chef du service photographique, réveillé en pleine nuit. Tous livides, blafards même, avec la lumière de la table qui les éclairait par en dessous. À cet instant, sans qu’un mot soit prononcé, il y eut un accord tacite : personne ne vendrait ni ne publierait ces images.

À quatre heures, la nouvelle tomba : Diana était morte.

Alors, la fièvre monta. Les téléphones portables n’arrêtèrent plus de sonner. Les offres provenaient des rédactions du monde entier. Les enchères s’accéléraient. Marc observait du coin de l’œil Vincent, et quelques autres photographes qui étaient arrivés entre-temps avec d’autres clichés. Ils répondaient en hésitant, prenant note du pactole qui ne cessait de monter. Parfois, ils se regardaient dans les vitres de la salle de rédaction et devaient s’interroger, eux aussi : hommes ou charognards ? Marc s’éclipsa des bureaux à six heures du matin, après s’être entendu avec Vincent : ils ne vendraient rien.

Marc marchait vers sa voiture quand son téléphone portable sonna. Il reconnut la voix : un de ses contacts au Quai des Orfèvres. « Diana. On attend son certificat de décès. Ça t’intéresse ? » Marc imagina le corps pâle, allongé sur la table d’opération. Ce corps qu’il avait lui-même profané quelques années auparavant, en fourguant des photos où on apercevait, à la naissance des cuisses de la princesse, des marques de cellulite. Le journal avait publié les images en agrandissant et en cerclant de rouge la zone « intéressante ». Marc avait empoché quatre-vingt mille francs pour ce reportage d’intérêt général. Voilà dans quel monde il vivait. Il raccrocha sans répondre.

Une heure plus tard, le flic rappela : « On vient de recevoir le certificat, par fax. On a les résultats de son analyse sanguine. Elle était peut-être enceinte. Ça t’intéresse toujours pas ? » Marc hésita encore, pour la forme, puis, poussé par une obscure volonté de toucher le fond, il dit : « Je t’attends au Soleil d’Or dans trente minutes. J’amènerai le papier. » Le Soleil d’Or était le café le plus proche du 36, quai des Orfèvres. Quant au « papier », il fallait toujours amener à son indic une rame standard à glisser dans la photocopieuse : les feuilles utilisées par les bureaux de police portaient des signes caractéristiques et constituaient, en cas de poursuites, une preuve matérielle contre ces services.

Une heure plus tard, il avait en main la copie du document. Deux heures plus tard, il le proposait à l’une des plus grandes rédactions de Paris. Un scoop inestimable. Mais la direction hésitait face à ce certificat : rien ne garantissait son authenticité et cela allait trop loin, trop fort. Au même moment, dehors, on parlait de lyncher les paparazzis et plus généralement les médias, les « assassins de Diana ». Sans être certain de publier, le magazine paya une « garantie » et prépara une mise en pages – ce fut Marc lui-même qui écrivit le papier, sur place. Mais alors, il se passa un événement inédit : les secrétaires du service sténo refusèrent de taper l’article. Trop, c’était trop. Cette révolte fit tout basculer : la rédaction renonça. Et opta pour une demi-mesure. On évoquerait la possible grossesse dans l’article, mais pas question de publier le certificat.

De rage, Marc attrapa sa pièce à conviction et fonça dans les toilettes du journal. Dans l’une des cabines, il brûla le document. À cette seconde, le dégoût explosa dans sa gorge. Aucun doute : il était bien une pure ordure. Il contempla les flammes qui se tordaient entre ses doigts et décida que le métier était fini pour lui. Depuis cinq ans, il pactisait avec le diable et il était en train de brûler, symboliquement, son contrat maléfique.

 

Il partit en voyage. Presque malgré lui, il retourna en Sicile, et ne mit que deux jours à se retrouver, sans même y avoir pensé, à Catane. Une sorte de pèlerinage, sauf qu’il ne se souvenait de rien. Dans les rues de lave noire, il essaya, encore et toujours, de se rappeler les quelques heures qui avaient précédé la disparition de Sophie. Quelles avaient été leurs dernières paroles ? Malgré son amour intact, malgré le fait qu’il ne passait pas un jour sans penser à elle, il était incapable de retracer ces heures ultimes.

En Sicile, il prit une nouvelle décision. À la manière d’un homme qui, traqué pendant des années, fait volte-face et choisit de combattre ses chasseurs, Marc décida de se retourner et d’affronter, enfin, ses propres démons. Ses cinq ans d’agitation, de combines, de photos indiscrètes n’avaient qu’un seul but : brouiller les cartes, masquer sa vraie hantise. Il était temps de se consacrer à sa véritable obsession.

Le crime.

Le sang et la mort.

Il proposa sa candidature à un nouveau magazine de faits divers, Le Limier. Marc n’avait pas le profil pour ce poste mais sa carrière démontrait ses dons d’enquêteur. À quarante ans, il repartit de zéro. Pour la cinquième fois. Après avoir été pianiste, journaliste régional, grand reporter, paparazzi, il se lançait maintenant dans le fait divers. On lui confia la chronique judiciaire. Il passa ses journées dans les cours d’assises, suivit les crimes les plus sordides, observa les assassins dans le box des accusés. Règlements de comptes, vols crapuleux, crimes passionnels, infanticides, incestes… Pas une turpitude ne manquait. Marc était déçu. Face aux accusés, il s’attendait à découvrir une vérité. La marque ancestrale du crime.

Ce qu’il voyait était plus effrayant encore : il ne voyait rien. La banalité du mal. Des visages plus ou moins repentis, plus ou moins expressifs. Qui semblaient toujours étrangers aux faits évoqués. Ces êtres humains qui avaient tué leurs enfants, massacré leur conjoint, éventré leur voisin pour quelques euros semblaient avoir été traversés par une force inconnue, étrangère.

Parfois, Marc éprouvait l’intuition inverse. La pulsion de destruction avait toujours été là, au fond de leur esprit. Elle appartenait aux gènes de l’homme, à son cerveau primitif – et n’attendait qu’une occasion pour surgir.

Les années passèrent. Il travailla sur des centaines d’affaires. Des procès, mais aussi des enquêtes criminelles non résolues – il connaissait tous les flics de la Crim, les magistrats, les avocats. Et les meurtriers. Il était autant chez lui à la « BC » du quai des Orfèvres qu’au parloir de Fresnes. Il déjeunait avec les meilleurs enquêteurs et interviewait les pires tueurs. Il cherchait, observait, chassait. Mais chaque fois, l’essentiel lui échappait. Il ne parvenait pas à contempler le visage du Mal.

Pourtant, il ne désespérait pas : après cinq années au Limier, il attendait toujours le cas, le « flag », la confession qui lui permettrait, enfin, de découvrir la lumière noire. Il vivait dans ses parages – il finirait bien par la surprendre.

 

— Un autre café, peut-être ?

Le serveur se tenait de nouveau devant lui. Marc regarda sa montre : dix-sept heures. Son bilan personnel lui avait pris plus d’une heure. Il se frotta les yeux comme s’il sortait du cinéma :

— Non, merci. Ça ira pour aujourd’hui.

Le garçon le gratifia d’un sourire satisfait ; surtout lorsqu’il le vit ranger ses dossiers et ses notes. Avant de s’éclipser, Marc fila aux toilettes pour se rafraîchir. Il se sentait aussi froissé qu’un mouchoir de jeune fille en plein chagrin d’amour.

Il s’observa dans les miroirs. Comme toujours, il ne pouvait décider à quoi il ressemblait le plus : pianiste, sorbonnard, reporter, paparazzi, journaliste criminel ? Avec son physique de petite frappe, il n’avait la tête d’aucun de ces rôles. Trapu, rouquin, moustachu, il ressemblait à un rugbyman miniature, qui aurait joué dans une équipe britannique ou irlandaise.

Il avait mis au point une panoplie pour affiner sa silhouette : il ne portait que des vestes cintrées à motifs discrets, brun et crème, et des chemises blanches à col anglais, dont il laissait dépasser les manchettes. Il n’était pas sûr de l’efficacité du résultat. Dans ses bons jours, il se trouvait très élégant, très « british ». Dans ses mauvais, il pensait au contraire qu’avec ces vestes brun chocolat, aux reflets café, il ressemblait plutôt à une vitrine de pâtisseries.

Il plongea sa figure dans l’eau fraîche. Il était sonné d’avoir remonté ainsi sa propre biographie. Aujourd’hui, qui était-il vraiment ? Il s’incarnait tout entier dans sa quête. Sa passion du crime. Cette idée le ramena au sujet de sa journée : Jacques Reverdi.

« Un tueur en série sous les tropiques », vraiment ?

Il ferma l’eau et balaya sa mèche.

Il était temps d’aller voir le visage de l’assassin.

 

La Ligne noire
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